Frédéric Vallois, prête-plume chez Vivendi
Avant de rentrer dans le vif du sujet. Permettez-moi, d’évoquer, très rapidement, le pourquoi de cette infolettre. C’est la première, quand même.
Elle se nomme : ”En passant”. est un désir, un défi. Mais aussi, une volonté de mettre à l’honneur, ce que je nomme, “le peuple de l’écriture”.
Le concept est assez simple. Je recevrai, à chaque édition, une personnalité qui, de près ou de loin, joue ou travaille avec les mots.
Que ce soit, pour son compte personnel ou pour son compte professionnel.
Nous partagerons ses envies, ses passions, ses émotions, ses rêves, ses frissons, ses emmerdes, aussi.
Pour cette édition, je tiens, tout particulièrement à remercier Frédéric Vallois. Il sera, à jamais le premier de cette nouvelle aventure rédactionnelle.
Un grand merci, car il essuie les plâtres et les peintures sont encore fraîches.
Merci d’avoir pris le temps de l’échange, de la discussion. Dans l’espoir de pouvoir te croiser, en vrai, à Roland-Garros, Wimbledon ou ailleurs ;)
Il est temps, désormais, d’entrer dans la danse…
Bonne lecture !
(crédit photo - La Guilde des plumes)
Frédéric Vallois a deux “amours” : Roger Federer et les mots !
C’est un passionné de tennis. Joueur amateur, il voue un culte au génie suisse. Il a d’ailleurs, dernièrement, avec Charles Haroche, écrit un livre : “Federer, un mythe contemporain”, Chez Solar.
Passionnant ouvrage, que j’avais évoqué avec les deux protagonistes pour le compte du journal Le Temps.
Nous y reviendrons dans l’interview, mais Frédéric Vallois, côté pro, c’est une plume, comme ils disent. Ou comme il aime à se définir un prête-plume.
Et la nuance est importante…
Question d’introduction, un peu obligée, quel est ton parcours professionnel ?
En quelques mots, sans être trop long, j'ai fait des études littéraires. Je me suis ensuite dirigé vers Science Po, ça m'a beaucoup aidé, car à “Spo” on écrit beaucoup.
Puis les chemins m’ont mené vers quelques cabinets ministériels (pendant deux ans). J'écrivais des éléments de langages, tous les jours. J’écrivais des notes pour qu'ils soient au courant et ce qu'il fallait dire.
Ensuite, j'ai intégré en 2012, le Groupe Vivendi. J'ai été embauché en tant que plume. Écriture de discours, de notes, d'argumentaires. Ou encore, rapport annuel de l'entreprise. Tout ce qui passe par du rédactionnel.
Depuis 3 ans, je m'occupe aussi de la communication interne du groupe. Faire en sorte de s'adresser aux salariés pour qu'ils connaissent mieux le groupe. Depuis quelques mois, j'ai aussi écrit un livre sur Roger Federer. Et c'est un peu le prolongement dans la sphère privé de ce que je peux faire dans la sphère professionnelle.
Mon fil rouge de mon parcours, c’est l'écriture. Ma dominante, c’est le discours.
Une sorte de plume à peu près tout terrain. Sur différents supports, le livre en est un autre, mais qui est tout aussi passionnant, par son objet et par la démarche que ça implique. C'est une tout autre aventure, en plus, on l'a fait à deux avec Charles (Haroche).
On appelle ça, “plume” dans le milieu politique. Dans l'entreprise on le dit moins. Dans le monde privé ou dit "rédacteur", "speachwriter" "conseiller discours". Peu importe le terme, c'est une personne préposée à l'écriture. Quel que soit le support.
C'est un métier très noble. On peut être plume de différentes manières. Les mots ne sont pas neutres. Quand on écrit, on en a conscience de ça. Et je crois qu'on aime manier cela. Il y a un côté presque ludique aussi par rapport à la langue.
Les mots, essence même de ton métier, avec une adaptabilité forte, suivant l’environnement professionnel ?
C'est sûr, c'est un travail où tu ne peux que t'améliorer. Travail de sédimentation. Quand tu commences, tu démarres, tu découvres. Tu peux bien écrire, mais tu ne peux pas très bien écrire, si tu n'as pas tout un tas d'éléments en ta possession. La culture de l'entreprise, la nature du commanditaire, le public à qui ça va être dit. Ce sont des choses que tu comprends au fur et à mesure. Être une plume dans une institution quelle qu'elle soit, c'est écrire dans un cadre qui est contraint.
Je crois que ça, il faut bien le comprendre. Dans une entité, il y a des contraintes de toute sorte. De cadres, de réglementations, de culture. Je me souviens, j'avais dans mes premières notes, écris le nom de Jean-Marie Messier. On m'a dit, il ne faut pas écrire ce nom sur une feuille !
Il faut comprendre qu'il y a des mots qui sont interdits et d'autres qui sont des passages obligés parce que, encore une fois, ça correspond à la nature de l'entreprise. Avec le temps, tu l'intègres et tu deviens meilleur.
Et puis, il y a le risque de recycler, plus ou moins, toujours la même chose. C'est un vrai risque. Parfois, honnêtement et sans trahir de secret, on cède un peu facilement. Parce que, je ne sais pas, on n'a pas le temps. L’envie de faire plus court, plus vite ou plus rapide. Mais en réalité, je pense que le challenge se situe là. Comment j'arrive à me remettre en cause ?
J’imagine que le message de l'entreprise, évolue aussi ?
Bien sûr et heureusement. Ça me permet aussi, moi, d'évoluer. Mais, je suis dans une entreprise qui a fixé un cap il y a quelques années, et globalement, on n'en dévie pas. Donc, on a une feuille de route qui est tracée qui va, on va dire, sur les 5 ou 10 prochaines années.
Ce sont des choses qui sont, quand même assez ancrées. Il y a, évidemment, des ajustements à la marge, mais tu ne changes pas comme ça. Tu ne pars pas, un coup à gauche, un coup à droite. Non, je le redis, le cap a été fixé. Il faut s'y tenir.
Tout ça, c’est le côté professionnel. En privé, tu as sorti un ouvrage, avec Charles Haroche, sur Roger Federer. Est-ce que l'écriture, en dehors de ta facette professionnelle, existe aussi dans ta facette personnelle, je veux dire régulièrement ?
Paradoxalement, pas trop. Elle existe par le biais de ce livre. Ça, c'est clair. Même s'il y a une continuité par rapport à ce que je fais dans le professionnel. Mais c'est parti d'une passion personnelle. Mais, si je mets le bouquin de côté, honnêtement, j'écris peu en dehors de mes obligations pro.
En revanche, quelque chose que je fais beaucoup, c'est que je lis. C'est-à-dire que pour moi, c'est le pendant assez naturel de l'écriture pour pouvoir écrire mieux ou différemment, ou être un peu différent.
Je pense qu'il y a des idées à piocher ailleurs, y compris dans un point de vue de la forme, des mots, du style, etc. Et il me semble qu'il n'y a pas mieux que la lecture pour ça.
Il se trouve que j'ai un faible pour tout ce qui est roman et essai. Donc, je suis plutôt branché là-dessus. Mais après, ça peut être lire juste un article de journal ou un magazine.
Je pense que, quand tu aimes écrire, je ne vois pas comment tu ne peux pas aimer lire. Et à l'inverse, quand tu lis, je pense qu'à un moment ou un autre, tu peux être tenté d'écrire toi-même, parce que tout t’influence en réalité.
Donc moi, je lis beaucoup. Je ne fais pas de calcul, mais je dois être entre 20 et 30 livres par an.
Je profite du moindre temps mort pour lire. Temps de transport, temps d'attente. C'est cela qui me nourrit, qui me donne aussi des idées. C'est aussi une bonne manière, de se remettre en question. De se réinventer, de faire évoluer son style.
C'est capital ! Si on veut bien écrire, il faut lire, ça c'est évident ! Je ne vois pas comment c’est possible autrement.
Je ne connais personne qui me dise j'adore écrire, par contre, je ne lis jamais. J'ai jamais rencontré ce type de profil et je t'avoue que je trouverais ça baroque si ça existait.
Est ce que toi, perso, tu trouves que tu as un style ? Est-ce que c'est facile de l'insérer dans ton secteur d’activité ?
Ça rejoint ce que je te disais au départ. C'est-à-dire que tu n'as de style, que celui que veut bien te donner l'entreprise, ou dans le cadre d'un discours, de la personne qui parle. Moi, j'ai le style de la personne qui va parler en réalité. Et c'est ça qui m'intéresse. Donc, en fait, ce n’est pas moi qui impose un style. En réalité, je m'imprègne de la personne, de ses talents, de ses qualités, etc.
Ou de ses défauts parfois, pour pouvoir bâtir quelque chose qui va lui ressembler. Et c'est pareil, lorsque j'écris un bout du rapport annuel de l'entreprise. Je me plie à la contrainte, à l'exercice, tel qu'il est demandé pour un rapport annuel d'une société cotée au CAC40. Donc, pour moi, dans le cadre professionnel, en tout cas, dans l'entreprise, il n'y a pas de style à avoir en particulier. Tu es un “prête-plume” en réalité.
L'exercice est évidemment un peu différent lorsque tu crées ton livre, par exemple. Avec Charles (Haroche), nous nous sommes lancés deux challenges. Le premier, c'était de se dire qu’on aimerait apporter un éclairage nouveau sur Federer. Donc, là, ça concerne plutôt le fond.
Et sur la forme, on souhaitait qu'à la fin de la lecture, les gens se disent “ah, indépendamment du sujet, j'ai passé un bon moment de lecture !”.
Donc, je ne saurais pas définir si on a un style plutôt ceci, plutôt cela. Sans prétention, on voulait qu'à la fin, il y ait une expérience littéraire. C'était ça notre objectif.
Après, dire que j'ai un style, honnêtement, j'en sais rien. En fait, je n’en suis même pas sûr. Mais ce qui est certain, c'est que nos entreprises n'ont pas de style. Moi, je prête juste ma plume et je m'adapte aux autres. Et c'est ça qui est la réalité de la plume de l'entreprise. Il me semble.
Alors, attention, ça ne m'empêche pas de faire des suggestions. Notamment pour des discours. Tu peux te dire, “je pense que là, il vaudrait mieux le dire comme ça” ou “que là, faudrait mieux faire ceci ou cela”. Tu peux être force de proposition, mais au final, tout ça se fait dans un but simple, qui est comment écrire de telle sorte que la personne qui va prononcer le discours soit le plus à l'aise possible. Et donc ça veut dire que tu dois partir d'elle. En réalité, tu ne peux pas partir de toi.
C'est intéressant, super, hyper intéressant. C'est un travail collaboratif, cet exercice rédactionnel ? Tu es tout seul ou tu as tu proposes justement aux dirigeants ou collaborateurs, le discours ou les notes ?
C’est semi-collectif ou semi-individuel ! En fait, tu fais un premier jet. Et là, tu es tout seul parce que c'est plus simple. C'est difficile d'écrire à quatre mains ou plus. Une fois que le premier jet est réalisé, alors là, tu rentres dans un processus où il y a beaucoup de personnes qui vont avoir un droit de regard sur ce que tu as écrit. Et je dis cela sans animosité et à juste titre. Mais il faut que les financiers contrôlent les chiffres. Il faut que les juristes contrôlent s’il n’y a pas d’erreurs qui pourraient engager la responsabilité du groupe.
Il faut qu'il soit contrôlé. Le risque, c'est qu'évidemment, lorsque chacun y met son nez, son grain de sel, ton discours de départ ne ressemble plus à grand chose.
Quand tu rentres dans un processus de validation, il y a des gens qui disent “ça, faut le mettre au début, puis ça, on va le mettre au milieu, puis ça…”
Mais en fait, si je l'ai construit comme ça, c'est qu'il y avait une raison. Alors après, il peuvent avoir raison, mais la progression n'est pas logique. Et le risque, en fait, au fur et à mesure, c'est que tu détricotes et que tu perdes un peu ce qui te semblait à toi, pertinent. Ce sont les risques inhérents au parcours d’écriture des discours.
Dans la réalité des faits, souvent, les dirigeants, ils ont très peu de temps pour les discours. Donc, ils te font une ou deux petites remarques. Et puis, c'est tout. Ça veut dire que c'est toi qui portes, globalement, le discours. Il y a assez peu d'échanges au final.
Et le discours passe par toutes les étapes. Il est individuel, puis il devient collectif. Et puis, au bout du compte, il redevient individuel parce que l'orateur, c'est quand même lui qui l'a. Il revient dans la bouche d'un seul homme,
Parfois, je le teste avec d'autres personnes. C'est bien de tester des formules, des idées, etc. Il faut accepter qu'il y ait des échanges, parfois, des critiques aussi. Et tout ça en essayant évidemment de l'améliorer. C'est une tension, un peu, entre individuel et collectif.
Ça me fait penser à une question ? Est ce que toi, ça t'arrive de reprendre ton texte et de le lire à voix haute pour voir ce que ça donne ?
Je le fais rarement. Mais sur un discours qui est très important, un discours d'assemblée générale pour le groupe, oui, ça peut arriver. Parce qu'à l'oral, tu perçois des choses que parfois, tu n'as pas à l'écrit.
Ça te semble bien, mais en réalité, et c'est ça aussi la spécificité du discours, notamment par rapport à d'autres exercices de rédaction, c'est que le discours, c'est un texte qui a vocation à être dit. Et je pense que ça, c'est une différence absolument essentielle.
C'est-à-dire que tu peux écrire, voir sur un écran des choses qui semblent très bien. Et puis, comme par hasard, quand tu vas les dire, tu vas dire, non, en fait, ça ne sonne pas bien. Il y a un mot qui est imprononçable, par exemple. Tu vas te rendre compte qu’à l'oral, il y a de nouvelles difficultés ou de nouveaux obstacles que tu n'avais pas identifiés à l'écrit. Donc, tout l'intérêt de le dire à voix haute, c'est précisément pour pouvoir identifier ses problématiques.
Voici le moment des questions un peu plus “anecdotiques”. Si tu devais mettre un mot, une phrase ou encore une citation dans une bouteille à la mer, avant de la jeter. Qu’écrirais-tu ?
Je n'ai pas forcément de citations. Je crois que je mettrais : “Federer est le plus grand joueur de tennis de tous les temps”. Voilà, ce que je balancerai à la mer !
Mais c'est l'idée que les mots sont un moyen et pas une fin. On a tellement abusé de certaines formules, de certaines expressions qu'on en a vidé un peu le sens.
Dans le métier de plume, je me considère comme une aide. Je trouve que lorsqu'on considère les mots comme une fin et plus comme un moyen, on commence à se tromper, on commence à manipuler les gens.
Il faut respecter les mots et respecter aussi l'intelligence des gens qui vont les écouter ou les lire. En politique, par exemple les mots n'agissent pas seuls. On a souvent tendance à penser qu'en-tout-cas, d'année en année, que les mots remplacent l'action. Qu’il suffit de dire pour que ça soit fait, maintenant. En fait, les mots sont là pour accompagner une réforme ou accompagner une action et venir la vendre, etc. Les mots sont un moyen, pas une fin.
C'est un tremplin vers autre chose. Mais ça n'est pas la fin et je trouve que l'on a parfois tendance à l'oublier. Donc c'est un peu ma marotte. Et je pense qu'il faut être humble, aussi, dans son travail de plume. Et ne pas s'autoriser à penser que c'est le discours qui fait l'action.
Pour revenir à la lecture, que lis-tu en ce moment ? Quel est le ton livre de chevet ?
Tu vas penser que je suis obsessionnelle et je pense que tu auras raison. Je viens de recevoir la dernière biographie, de Federer ! D'un journaliste américain. Je pense que je vais y apprendre plein de choses parce qu'on ne sait jamais tout sur son idole, même quand on a passé quatre mois de son existence à lui consacrer un livre.
Et sinon, comme je te disais, ce sont plutôt des romans. J'ai profité l'été dernier, pour en lire beaucoup. Des romans contemporains, des romans classiques. J'ai aussi une sensibilité pour les grands romans, les grands classiques.
J'alterne souvent. Je fais des allers-retours entre contemporain, et grand classique. De temps en temps, j'y faufile un petit essai. Ça peut être un essai sur les sujets qui, moi m'intéressent dans le cadre de mon boulot, les médias, la communication. Ça peut me donner des idées.
Est-ce que tu es comme moi, tu as un ouvrage dans chaque pièce et tu ne peux pas être à moins de trois mètres d’un livre ?
Oui, j’ai toujours quelque chose à lire. Et, ça n’est pas forcément des livres. Ça peut-être un article. Et oui, il y a toujours de quoi lire dans un coin.
Deux petites questions pour terminer. Si tu devais, en un mot, définir notre échange ?
Je dirais très sympathique, très informel et surtout nous réunissant sur un point commun qui est extrêmement fondamental, qui est celui d'écrire !
Et enfin, je te laisse me lancer un défi rédactionnel. Donne-moi, un mot que je vais devoir écrire dans un post Linkedin, par exemple ?
Comme, en parlant, j’ai vu sur l’Arc de Triomphe, je dirais : “empaqueter” !
Un grand, grand, grand merci à Frédéric Vallois pour cet échange. Qui, je l’espère, en amènera d’autres.
N’hésitez pas, si vous le souhaitez, à partager cette infolettre.
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Et pourquoi pas, à me glisser quelques noms à inviter par ici.
Je vous embrasse fort !
Sébastien Beaujault
(Membre du peuple de l’écriture)